Comment dire la monotonie de ces jours de guerre durant lesquels il se tire à intervalles éloignés un coup de canon par-ci, un coup de canon par-là, juste de quoi effrayer les corbeaux ?
Nos troupiers creusent, creusent. Le plateau de l’arbre de Bourges devient une cité dédaléenne. Les kilomètres de fils de fer s’ajoutent aux kilomètres de fil de fer. De temps à autre sur la route boueuse passe un convoi de petites voitures marocaines attelées de mules et conduites par une couverture coiffée d’un turban… Sur la colline, en face, il est probable que la journée se passe, au fil des minutes semblablement monotones…
Et nous attendons que la victoire russe en Pologne se précise…
-10h – soir-
…et dans cette idée de monotonie et de piétinement je m’étais endormi quand, soudain, toute la maison tremble sous le bruit du canon… Quelques coups violents déchirent l’air, et puis cet air semble éclater en mille petits morceaux : une fusillade et une mitraillerie aussi violentes que subites crépitent comme à deux pas de nous… Je me lève, aux appels des braves gens chez qui je loge… Je descends dans la rue… Le commandant est à sa fenêtre criant : « Alerte ! Alerte !…» Sous le clair de la lune, des troupiers courent en tous sens, leurs baïonnettes battent leurs jambes, les grains de riz et les haricots sautent dans les bouthéons… Les ordonnances passent, chargés de la cantine de leurs officiers… Les femmes du pays sont groupées, silencieuses, inquiètes, sur la petite place centrale du village… Les éclairs du canon illuminent le ciel… Le pan pan pan pan pan pan des mitrailleuses tape sec dans l’air très pur et très calme… On s’interroge : « Qu’est-ce qui se passe ?… Où est-ce ? Du côté de Pommiers… C’est une relève… Ne croyez-vous pas que c’est une attaque soudaine de l’ennemi ?… Mais non, nos canons ont tiré les premiers… »
Et tout ce beau désordre sous la lune dure une demi-heure… La fusillade s’atténue… Les mitrailleuses se taisent… Les coups de canon s’espacent…
Et nous prenons pour la nuit les cantonnements d’alerte. […]
27 novembre 1914. Courmelles
Comment dire la monotonie de ces jours de guerre durant lesquels il se tire à intervalles éloignés un coup de canon par-ci, un coup de canon par-là, juste de quoi effrayer les corbeaux ?
Nos troupiers creusent, creusent. Le plateau de l’arbre de Bourges devient une cité dédaléenne. Les kilomètres de fils de fer s’ajoutent aux kilomètres de fil de fer. De temps à autre sur la route boueuse passe un convoi de petites voitures marocaines attelées de mules et conduites par une couverture coiffée d’un turban… Sur la colline, en face, il est probable que la journée se passe, au fil des minutes semblablement monotones…
Et nous attendons que la victoire russe en Pologne se précise…
-10h – soir-
…et dans cette idée de monotonie et de piétinement je m’étais endormi quand, soudain, toute la maison tremble sous le bruit du canon… Quelques coups violents déchirent l’air, et puis cet air semble éclater en mille petits morceaux : une fusillade et une mitraillerie aussi violentes que subites crépitent comme à deux pas de nous… Je me lève, aux appels des braves gens chez qui je loge… Je descends dans la rue… Le commandant est à sa fenêtre criant : « Alerte ! Alerte !…» Sous le clair de la lune, des troupiers courent en tous sens, leurs baïonnettes battent leurs jambes, les grains de riz et les haricots sautent dans les bouthéons… Les ordonnances passent, chargés de la cantine de leurs officiers… Les femmes du pays sont groupées, silencieuses, inquiètes, sur la petite place centrale du village… Les éclairs du canon illuminent le ciel… Le pan pan pan pan pan pan des mitrailleuses tape sec dans l’air très pur et très calme… On s’interroge : « Qu’est-ce qui se passe ?… Où est-ce ? Du côté de Pommiers… C’est une relève… Ne croyez-vous pas que c’est une attaque soudaine de l’ennemi ?… Mais non, nos canons ont tiré les premiers… »
Et tout ce beau désordre sous la lune dure une demi-heure… La fusillade s’atténue… Les mitrailleuses se taisent… Les coups de canon s’espacent…
Et nous prenons pour la nuit les cantonnements d’alerte. […]
« Maurice Bedel Journal de guerre 1914-1918 »
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