Une réflexion sur « 5 décembre 1914 »

  1. 5 décembre 1914. Courmelles

    Les routes du temps de guerre ont leur physionomie bien à elles. Il y a d’abord les grand’routes, bien entretenues par les territoriaux devenus cantonniers : sur les grand’routes passent les autos des officiers d’état-major allant et venant comme des flèches de l’arrière vers le front, du front vers l’arrière, passent aussi les longues queues leu leu de convois automobiles chargés de munitions, de vivres en gros, parfois de troupes.

    Il y a ensuite les simples routes, les routes de campagne, chemins vicinaux, communaux, chemins de simples charrois. On y enfonce dans la boue jusqu’aux chevilles. On y croise des petits convois de voitures plus ou moins hétéroclites, charrettes de cultivateurs, car[r]ioles de boucher, voitures de déménagement, voitures régimentaires, charrettes marocaines à deux roues attelées de mules. Tous ces équipages sont chargés de pain, de sucre, de café, de viande fraîche ou de viande australienne frigorifiée, de boites de conserves, de sacs de pommes de terre… On y rencontre sur ces routes étroites des paysans fuyant l’ennemi ou ses obus, le dos chargé de ballots de linge ; des troupiers, par petits groupes, gagnant très lentement, très maussadement le front où les envoie leur dépôt, ils ont la nouvelle tenue gris bleu si pratique et si inélégante ; on y rencontre des chevaux en promenade, des chevaux d’artilleurs dont les pièces sont immobilisées depuis deux mois sur les rives de l’Aisne ; on y rencontre enfin des hommes caparaçonnés de boue, le visage crasseux et la barbe inculte : c’est la relève des tranchées… De temps à autre on croise deux gendarmes, à pieds, à cheval ou à bicyclette : ils nous dévisagent désagréablement, cherchant l’espion sous chaque képi, ils sont chargés de faire la police des routes et des champs, de veiller à ce que les troupiers ne braconnent pas, ne coupent pas des fagots dans les bois… Ils représentent l’ORDRE… Et l’on est tout heureux de voir que l’ordre règne en France, au quatrième mois de la guerre, au point que les lièvres, les lapins et les canards sauvages sont jalousement gardés par Pandore.

    « Maurice Bedel – Journal de guerre 1914-1918″

    http://www.nrblog.fr/centenaire-14-18/2014/12/05/5-decembre-1914-les-routes-du-temps-de-guerre-ont-leur-physionomie-bien-a-elles/

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