En août, les premiers deuils avaient mis leurs crêpes dans nos rues. D’abord on remarqua les silhouettes voilées des femmes (dont mon arrière-grand-mère à Audincourt), on s’écartait par respect du sillage douloureux ; puis il y eut tant de mères, d’épouses, de fiancées et de sœurs atteintes dans leurs affections, que la physionomie des rues s’assombrit et que les femmes épargnées prirent elles-mêmes le deuil par délicatesse nationale, pour ne pas, avec une toilette claire, dans tout ce noir, faire une tache.
La mort des civils autour de nous laissait notre sensibilité à peu près indifférente. C’est une connaissance, une notion intellectuelle qu’on acquiert ; elle n’a plus de résonance en nous.
On laisse les morts enterrer les morts. Tout reste étroitement enfermé dans le cercle familial.
Il y a trop d’hommes qui tombent à toute heure sur les champs de bataille pour qu’on ressente une émotion devant un cas de mort naturelle, quels que soient l’âge, le sexe, les sympathies dont le défunt est entouré.
Notre sensibilité se réserve tout entière pour les deuils de la patrie. Chaque fois qu’un Montbéliardais inconnu meurt aux armées, c’est un deuil collectif.