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Séquestre

Le décret du 27 septembre 1914 prohiba tout commerce entre Français et sujets austro-allemands et interdit à ceux-ci de se livrer directement ou par personnes interposées à tout commerce avec la France.

Une ordonnance du président du Tribunal civil du Havre rendue le 2 octobre, sur requête du ministère public, mit sous séquestre des marchandises appartenant à une maison allemande.

La main-mise de la justice sur ces marchandises, est-il dit dans les attendus, constitue une mesure de sauvegarde de nature à empêcher qu’elles ne passent à l’étranger.

Si la maison, comme elle le prétend, est une société anonyme constituée conformément à la loi française, il est nécessaire aussi de prendre des dispositions pour protéger les intérêts des actionnaires.

C’était une façon pratique et irréprochable d’appliquer le décret. Le garde des sceaux qui, le 8 octobre, signalait déjà cette ordonnance aux tribunaux, l’avait si bien compris que par sa circulaire du 13, il invitait les parquets à faire procéder à la saisie et à la mise sous séquestre de tous les biens mobiliers et immobiliers des maisons austro-allemandes.

Dans une circulaire du 14 novembre 1914, le garde des sceaux revient sur la mise sous séquestre « qui n’a pas et ne peut en aucun cas prendre le caractère d’une mesure de spoliation ».

Mesure toujours purement conservatoire, elle est destinée à empêcher que les nations ennemies ne puissent, au moyen des établissements que leurs sujets ont créés chez nous, « bénéficier pendant la guerre de l’activité économique de notre pays ».

Voici les noms des étrangers dont les biens ont été mis sous séquestre en novembre 1914 :

Kripner Georges, constructeur mécanicien, 16, rue Viette,

Schgach Joseph, propriétaire, 6, rue Jean-Bauhin,

Société du bouillon « Kub », agence, 30, rue des Febvres,

Sternhuber Otto, coiffeur, rue de Belfort,

Weber Adolphe, ouvrier tapissier, rue de l’Etuve.

Livre Montbéliard p.174-175

Durée de la guerre

Quelle sera la durée de la guerre ?

Dans toutes les classes de la société, on estimait au commencement d’août que tout serait terminé fin septembre. La guerre, comme on le concevait, c’étaient des millions d’hommes qui s’entrechoquent et s’entretuent, des charges furieuses de divisions de cavalerie, renouvelées jusqu’à l’épuisement. Avec les engins de destruction dont disposent les armés modernes, on pensait qu’il ne resterait plus d’hommes, ni d’un côté ni de l’autre, au bout de deux mois.

Ceux qui fixaient la Toussaint comme terme aux hostilités faisaient sourire ; ceux qui reculaient ce terme à Noël n’étaient plus du tout pris au sérieux.

On ne prévoyait pas alors la guerre de tranchées…

Livre Montbéliard p.44

Vécu de la mort et du deuil pour « l’arrière »

En août, les premiers deuils avaient mis leurs crêpes dans nos rues. D’abord on remarqua les silhouettes voilées des femmes (dont  mon arrière-grand-mère à Audincourt), on s’écartait par respect du sillage douloureux ; puis il y eut tant de mères, d’épouses, de fiancées et de sœurs atteintes dans leurs affections, que la physionomie des rues s’assombrit et que les femmes épargnées prirent elles-mêmes le deuil par délicatesse nationale, pour ne pas, avec une toilette claire, dans tout ce noir, faire une tache.

La mort des civils autour de nous laissait notre sensibilité à peu près indifférente. C’est une connaissance, une notion intellectuelle qu’on acquiert ; elle n’a plus de résonance en nous.

On laisse les morts enterrer les morts. Tout reste étroitement enfermé dans le cercle familial.

Il y a trop d’hommes qui tombent à toute heure sur les champs de bataille pour qu’on ressente une émotion devant un cas de mort naturelle, quels que soient l’âge, le sexe, les sympathies dont le défunt est entouré.

Notre sensibilité se réserve tout entière pour les deuils de la patrie. Chaque fois qu’un Montbéliardais inconnu meurt aux armées, c’est un deuil collectif.

Livre Montbéliard p. 47-48

Septembre 1914 (suite)

Puis ce furent les inoubliables journées de septembre, l’offensive générale du 6 où le général Joffre donna l’ordre aux troupes « de se faire tuer sur place plutôt que de reculer ».

Le 8, les Alliés forcent le passage du Petit-Morin. Les allemands cèdent à l’aile gauche. Des combats acharnés se livrent entre la Fère-Champenoise, Vitry-le-François et la pointe sud de l’Argonne.

Le 9, les anglais passent la Marne et poursuivent les allemands vers le nord. Les français sont vainqueurs sur l’Ourcq et à Montmirail.

Le 10, la Garde prussienne est refoulée au nord des marais de Saint-Gond.

Le 11, le centre allemand plie à Sézanne.

C’est le reflux de la vague ennemie derrière l’Aisne et au nord de Reims. C’est la grande victoire de la Marne où notre armée a sauvé la France et la civilisation.

Au fur et à mesure que les bonnes nouvelles nous parvenaient, c’était comme un sang nouveau qu’on transfusait dans nos veines. On respirait, on se détendait, on se dilatait. On se rendait compte, maintenant qu’il se dissipait, de l’affreux cauchemar où tant de jours nous avions été plongés, où nous ne mangions plus, où nous ne dormions plus. On renaissait à la vie, on y retrouvait du prix, on voulait vivre pour acclamer la victoire complète et décisive.

Livre Montbéliard p.45.46

Brassards

« Ils poussèrent les premiers jours d’août, comme des champignons après une pluie d’orage, épanouissant dans nos rues leur floraison hâtive, innombrable et multicolore.

Le brassard était un signe distinctif octroyé à certains agents mobilisés dans leurs fonctions et destiné à leur en faciliter l’exercice.
Il remplaçait l’uniforme.

Aux civils, mobilisés ou non, qu’employait l’autorité militaire, il donnait un caractère officiel et apparent à leur mission.

Nous connaissions depuis longtemps les brassards des officiers de l’Etat-major. La grève des cheminots en automne 1910,nous avait révélé les brassards de mobilisation des employés de chemins de fer.

Il fallait la guerre pour nous familiariser tout à fait avec leurs couleurs et nous initier à leur langage conventionnel.

Service de la traction en rouge, voie et entretien en jaune, exploitation en blanc. La couleur rouge se portait beaucoup. Elle était adoptée par l’administration des contributions indirectes qui la chargeait des lettres C.I, et par le service des Automobiles qui n’y inscrivait qu’une seulle lettre, un A majestueux.

Les Postes et Télégraphe étaient en bleu et les membres des commissions de ravitaillement portaient un brassard blanc et vert ; et aussi le brassard vert des gardes civils.

Il y avait surtout le brassard blanc à croix rouge des services de santé. Il sévit particulièrement dans la période où le gouvernement de Belfort réquisitionnait des travailleurs de 16 à 60 ans pour la mise en état de la défense de la Place.
C’est ce moment qui vit éclore chez nous le plus grand nombre de vocation sanitaires. Que d’infirmiers, que de brassardés se réclamant de la croix rouge !

Cette épidémie du reste , ne fut pas spéciale à Montbéliard. On prit partout des mesures en vue de l’enrayer comme d’y apposer le sceau de la ville mais c’était insuffisant.
Une décision ministérielle exigea sur les brassards de la convention de Genève l’apposition du sceau du ministère de la guerre.

Vers la fin août, les brassardés auxquels on avait cessé de faire attention obtinrent auprès de la foule un regain de faveur. Ils étaient devenus remarquables par leur petit nombre. »

 

Livre Montbéliard p.32.33

8 août : Mesures contre l’espionnage, suite.

« Le 8 août, les prescriptions devinrent encore plus sévères. Toute circulation routière de18h à 6h fut interdite aux automobiles et autres véhicules, même aux voitures postales et à celles appartenant aux services publics.

La même interdiction était faite aux piétons. Seul, le personnel militaire eut l’accès des routes la nuit en justifiant de sa qualité et d’une mission de service.

Ici se place un incident qui montre les difficultés et les ennuis que les entraves apportées à la circulation causèrent à la municipalité. Presque tous les médecins ayant été mobilisés, les malades de communes voisines se trouvèrent, au commencement d’août, privés de soins médicaux. La préfecture demanda à l’administration communale si elle en pourrait pas mettre à la disposition de ces communes quelques docteurs dégagés de toutes obligations militaires. Messieurs les docteurs Tuefferd père et Jules Vesseaux s’empressèrent, par dévouement, d’accepter ce nouveau service mais ils furent bientôt dans l’impossibilité de le continuer, l’autorité militaire exigeant une carte de circulation spéciale pour leurs voitures. »

Livre Montbéliard p.178.179

1er août : L’Ordre de Mobilisation Générale

« Une foule anxieuse, ayant mal dormi, se pressait samedi 1er août, à l’arrivée du train de Besançon. en un clin d’oeil, les journées du chef-lieu couvrent la cour de la gare d’un essaim de papillon blancs.

L’état de guerre est proclamé en Allemagne.
La Russie mobilise.
La Suisse, la Belgique, la Hollande mobilisent…

Et cette nouvelle qui produit une stupeur : Jaurès la veille au soir, assassiné dans un restaurant de la rue du Croissant. On se rend compte de la gravité à cette heure de cet attentat exécrable qui peut entrainer une catastrophe.

Dans la ville fiévreuse où presque tout travail est abandonné, la population qui ne peut rester chez elle se répand par les rues et sur les places.

Vers 16h15, des automobiles transportant des gendarmes débouchèrent de la rue d’Héricourt, à toute allure.
– c’est l’ordre de mobilisation générale. Nous allons dans les communes. Les plis destinés à Montbéliard vous seront remis par une auto qui vient derrière nous.

Quelques instants plus tard, en effet, une nouvelle voiture s’arrêta devant l’hôtel de ville. Un gendarme en descendit, remit à la mairie un paquet comprenant entre autres pièces les affiches de mobilisation, les instructions concernant la mobilisation, la réquisition et la police des étrangers, enfin un tableau de concordance des jours de la période de mobilisation avec les dates du calendrier.

Le secrétaire compta les affiches, en donna reçu au gendarme, puis, devant celui-ci, comme l’exige la loi, il compléta chaque affiche…

Le premier jour de la mobilisation est le Dimanche deux août 1914. Le second jour est le Lundi trois août, etc.

Les citoyens qui connaissent la grave nouvelle, échangent dans le calme leurs impressions.
– On ira on est prêt.
– Si ça continuait, ils deviendraient nos maîtres sans un coup de fusil
– S’ils veulent se battre on les recevra proprement

Tout le monde est bien pénétré de cette idée que la France a tout fait pour éviter la guerre ; on connaît la volonté de paix du gouvernement.

Aussi, aucun mot de récrimination, aucune plainte, aucune surprise.
D’avance on accepte tous les sacrifices ; on a la résolution virile d’en finir une fois pour toutes avec le cauchemar allemand.

L’ordre de mobilisation apporte un soulagement. Les yeux brillent, la confiance et l’espoir rayonnent sur les visages dont les traits se détendent.

A 16h45 on placardait aux murs cet avis du maire de Montbéliard, qui était publié aussi à son de caisse, dans tous les quartiers de la ville :

ORDRE DE MOBILISATION GENERALE

Le maire de Montbéliard porte à la connaissance des citoyens que la mobilisation générale est ordonnée. Il leur rappelle que l’ordre de mobilisation leur impose des devoirs auxquels leur patriotisme comme leur intérêt leur commande de se soumettre immédiatement.
Il invite les réservistes et territoriaux à se tenir prêts à partir mais à ne se mettre en route qu’après avoir pris connaissance des affiches de mobilisation que la gendarmerie doit faire placarder dans la commune.
Le premier jour de la mobilisation est le dimanche deux août 1914

Hôtel de Ville, premier août 1914, 4h30 du soir,
le maire, Gustav ULMAN »

livre Montbéliard, p.12-13-14-15