Archives de catégorie : Montbéliard à travers la Grande Guerre

Mesures concernant les naturalisés

« Parmi les ressortissants naturalisés de puissances devenues ennemies, il en est qui, bien qu’ayant paru offrir toutes les garanties lorsque la nationalité française leur a été concédée, continuent cependant à se considérer comme sujets de leurs pays d’origine et ont agi ou peuvent être amenés à agir comme tels ».

Tels sont les motifs pour lesquels le Gouvernement français en 1915, demanda au Parlement les pouvoirs nécessaires pour retirer, s’il y avait lieu, aux ex-sujets des nations en guerre avec notre pays, le bénéfice de la naturalisation qui leur avait été octroyé.

La loi régissant la naturalisation (loi du 26 juin 1889 complétée par celle du 22 juillet 1893) en avait facilité l’obtention à un tel point que la moyenne annuelle des naturalisés qui était de 458 individus par an, de 1867 à 1889, dépassait le chiffre de 13 000. Outre que la France est hospitalière, c’était un expédient qui lui permettait de parer, dans une certaine mesure, à l’abaissement toujours croissant de sa natalité.

La veille des hostilités, il y avait, en France, environ 150 000 naturalisés dont la plus grande partie était d’origine germanique.

Que d’espions, que de faux Français, sous des masques d’emprunt, d’autant plus que la loi allemande du 22 juillet 1913 – dite loi de Delbruck – réservait à ses nationaux naturalisé français, la possibilité de conserver leur nationalité d’origine.

La loi du 7 avril 1915 autorisa le gouvernement à rapporter les décrets de naturalisation obtenus par d’anciens sujets de puissances en guerre avec la France, en décidant la révision de toutes les naturalisations accordées postérieurement au 1er janvier 1913 à des sujets ou anciens sujets de ces puissances.

Livre Montbéliard p. 176

L’agriculture en 1915 – Janvier

Froid, pluvieux. Vents de S.-O. La température élevée de décembre persiste jusqu’au 13. A partir du 18, les minima restent au-dessous de 0 jusqu’au 31.

Avenue de la Prairie, la température la plus basse constatée pour le mois et pour l’hiver est : -12°

Secousse sismique ressentie à Montbéliard, le 18, vers 22h45.

 

Nos exploitations agricoles disposaient au moment des semailles de 24 travailleurs civils et de 39 chevaux. En avril, l’autorité militaire envoya pour les travaux du printemps la main-d’oeuvre nécessaire aux rares fermiers qui avaient demandé son concours.

Le nombre d’hectare affectés à la production des fourrages était de 239. Pour la fenaison, 25 cultivateurs ayant besoin de 48 ouvriers agricoles sollicitèrent l’aide de la Compagnie des travailleurs militaires du 99ème régiment territorial, établie à Audincourt. 126 travailleurs seulement avaient pu être mis à la disposition de l’arrondissement de Montbéliard. Les travaux de la plaine terminés, ils furent dirigés ensuite sur les cantons de Pont-de-Roide et de St-Hippolyte. Quelques fils de cultivateurs obtinrent des permissions spéciales de quinze jours.

Le foin récolté sur le territoire de la commune, s’éleva à 10 000 quintaux, soit la quantité nécessaire à sa consommation pendant 10 mois environ.

Fin juillet, le lieutenant-colonel Chevalier, gouverneur du Mont-Bart, mis à la disposition de la ville 4 ouvriers agricoles pour une durée de quinze jours. On les envoya aux cultivateurs dont le personnel était le plus réduit.

En août, la rigueur militaire fléchit devant les besoins de l’agriculture. Les soldats des dépôts exerçant réellement la profession de cultivateur avant la guerre purent obtenir aisément une permission agricole au vu d’un certificat du maire. D’autres vinrent travailler aux champs en faisant attester par l’employeur que le soldat demandé s’entendait à la culture et que sa présence était nécessaire pour la rentrée des récoltes.

Grâce à ses mesures, la moisson se fait assez rapidement.

Denrées existant dans la commune au 5 septembre 1915 :

Blé 137 quintaux
Avoine 262 quintaux
Orge 28 quintaux
Fourrages 2075 quintaux
Pailles diverses 805 quintaux

La récolte des pommes de terre fut abondante dans toute la région. Le territoire de la commune en produisit environ 500 quintaux.

Les fruits furent assez nombreux, mais il y en eut beaucoup moins qu’en 1914.

La récolte abondante en foin et la hausse du prix du lait favorisèrent l’élevage du bétail bovin qui avait été si éprouvé par les réquisitions du début de la guerre.

Livre Montbéliard p. 72

Alsaciens-Lorrains

Les Alsaciens-Lorrains bénéficiaient d’un régime de faveur spécial.

Ceux qui étaient établis depuis longtemps en notre ville et dont on connaissait les origines et les sentiments français étaient laissés libres de conserver leur résidence sans conditions.

Ceux dont on était moins certain pouvaient rester si un des membres de leur famille contractait le deuxième jour au plus tard un engagement dans la Légion étrangère.

Aucune famille alsacienne-lorraine ne pouvait continuer à séjourner si un de ses membres avait quitté la France pour obéir à l’ordre de mobilisation.

Quant aux familles ayant des membres sous les drapeaux ou dont les sentiments francophiles étaient notoirement connus, si elles désiraient refluer sur l’intérieur, on facilitait leur déplacement et on inscrivait sur leur sauf-conduit la mention : Alsaciens-Lorrains.

Grâce à ces dispositions, les Alsaciens-Lorrains même étant en âge de servir pouvaient rester à Montbéliard et continuer d’y exercer leur profession, alors que leurs collègues originaires des autres provinces, étaient aux armées.

Tel est le cas d’un négociant alsacien, ayant fait son service militaire en Allemagne, qui, après la déclaration de guerre, exploitait son commerce comme devant.

Le conseil municipal saisi d’une protestation de ses concurrents mobilisés ne put que « regretter qu’au moment où tous les français sont aux frontières pour défendre la patrie envahie, il y eut parmi les Alsaciens – à qui la loi française a créé une situation privilégiée – des hommes qui pussent méconnaître leur devoir » (délibération du 28 décembre 1914).

L’émotion produite autour de ce cas ne fut sans doute point étrangère à la décision que prit peu après le général gouverneur de Belfort de se prononcer souverainement sur les permis de séjour jusque là accordés par les maires, et, dans certains cas, de les retirer aux titulaires (en principe, la zone des armées ne devaient pas conserver d’étrangers).

Le négociant, dont nous venons de parler, contracta depuis un engagement pour la durée de la guerre et fit très crânement son devoir.

Livre Montbéliard p.169

L’agriculture en 1914 – Décembre

Chaud, humide. Vents du S.-O. L’élévation de température s’accentue dès les premiers jours. Température moyenne très supérieure à la normale (5°95 au lieu de 1°96) ; c’est la plus élevée depuis 30 ans.

Des blés, des farines, furent achetés au dehors.

La récolte des pommes de terre étant déficitaire dans la région, la commission municipale de ravitaillement en importa des centres de production.

Il y eut une quantité de fruits de toute sorte, pommes, poires, prunes, coings, dans tout le pays de Montbéliard et la Haute-Saône.

Livre Montbéliard p.72

Séquestre

Le décret du 27 septembre 1914 prohiba tout commerce entre Français et sujets austro-allemands et interdit à ceux-ci de se livrer directement ou par personnes interposées à tout commerce avec la France.

Une ordonnance du président du Tribunal civil du Havre rendue le 2 octobre, sur requête du ministère public, mit sous séquestre des marchandises appartenant à une maison allemande.

La main-mise de la justice sur ces marchandises, est-il dit dans les attendus, constitue une mesure de sauvegarde de nature à empêcher qu’elles ne passent à l’étranger.

Si la maison, comme elle le prétend, est une société anonyme constituée conformément à la loi française, il est nécessaire aussi de prendre des dispositions pour protéger les intérêts des actionnaires.

C’était une façon pratique et irréprochable d’appliquer le décret. Le garde des sceaux qui, le 8 octobre, signalait déjà cette ordonnance aux tribunaux, l’avait si bien compris que par sa circulaire du 13, il invitait les parquets à faire procéder à la saisie et à la mise sous séquestre de tous les biens mobiliers et immobiliers des maisons austro-allemandes.

Dans une circulaire du 14 novembre 1914, le garde des sceaux revient sur la mise sous séquestre « qui n’a pas et ne peut en aucun cas prendre le caractère d’une mesure de spoliation ».

Mesure toujours purement conservatoire, elle est destinée à empêcher que les nations ennemies ne puissent, au moyen des établissements que leurs sujets ont créés chez nous, « bénéficier pendant la guerre de l’activité économique de notre pays ».

Voici les noms des étrangers dont les biens ont été mis sous séquestre en novembre 1914 :

Kripner Georges, constructeur mécanicien, 16, rue Viette,

Schgach Joseph, propriétaire, 6, rue Jean-Bauhin,

Société du bouillon « Kub », agence, 30, rue des Febvres,

Sternhuber Otto, coiffeur, rue de Belfort,

Weber Adolphe, ouvrier tapissier, rue de l’Etuve.

Livre Montbéliard p.174-175

Durée de la guerre

Quelle sera la durée de la guerre ?

Dans toutes les classes de la société, on estimait au commencement d’août que tout serait terminé fin septembre. La guerre, comme on le concevait, c’étaient des millions d’hommes qui s’entrechoquent et s’entretuent, des charges furieuses de divisions de cavalerie, renouvelées jusqu’à l’épuisement. Avec les engins de destruction dont disposent les armés modernes, on pensait qu’il ne resterait plus d’hommes, ni d’un côté ni de l’autre, au bout de deux mois.

Ceux qui fixaient la Toussaint comme terme aux hostilités faisaient sourire ; ceux qui reculaient ce terme à Noël n’étaient plus du tout pris au sérieux.

On ne prévoyait pas alors la guerre de tranchées…

Livre Montbéliard p.44

L’agriculture en 1914 – Novembre

Plutôt froid, pluvieux. Vents du N.-E. La température déjà assez basse d’octobre s’accentue surtout dans la deuxième quinzaine. 14 jours de gelée.

Pour nourrir une population, on compte qu’une quantité de 500 grammes de blé est nécessaire par jour et par tête. L’alimentation en pain exigeait pour notre ville (9000 habitants environ), 1350 quintaux par mois.

Livre Montbéliard p.72

Vie morale (3/3)

MOEURS DES HOMMES

La conduite de ceux qui restent est généralement irréprochable. Sobriété, activité, volonté de mener la guerre jusqu’au bout. La surexcitation sexuelle qui caractérise ces années de guerre ne les atteint pas. Toutes les séductions de la femme sont, du reste, orientées vers l’homme du front.

Livre Montbéliard p.70

Vie morale (2/3)

MOEURS DE L’ENFANT

Le père aux armées, la mère à l’usine, l’enfant se trouve sans soins, abandonné. Vols, larcins, maraudage.

L’instruction des enfants est négligée. On leur a pris leurs maîtres ; on leur a pris, comme au collège, jusqu’à leur école. Ils apprennent comme ils peuvent, quand ils peuvent, où ils peuvent, dans des locaux quelquefois sans feu (hiver 1916-17). Et puis, si intéressant que soit le siège d’Alésia, la résistance formidable de notre Verdun les passionne davantage ; ils apprennent à lire dans les journées dont ils suivent les communiqués. Le bruit du canon jour et nuit, la vie au milieu des troupes qui passent, la menace constante d’une attaque, les avions, les tirs de barrage, les bombardements aériens, voilà bien des circonstances atténuantes pour nos enfants, premières et innocentes victimes de la guerre.

Des mesures sont prises par la municipalité pour réprimer le vagabondage des rues et assurer la scolarité. Elles réussissent partiellement, rencontrant de trop nombreux obstacles.

Par contre, toute une jeunesse ardente développe son corps dans les exercices physiques, se fait du muscle. La patrie d’abord, la race ensuite en bénéficieront.

Livre Montbéliard p.69-68

Vie morale (1/3)

MOEURS DE LA FEMME

Comme c’était prévu et inévitable, la moralité fléchit, surtout celle de la femme.

Faits. Nombreuses sont les infractions pour ivresse, prostitution, outrage à la pudeur, excitations de mineurs à la débauche (1914-18).

Gourmandise (pâtisseries et rayons de volailles mis à sec au lendemain du paiement des allocations). Goût immodéré de la toilette (celle-ci souvent scandaleuse). Egoïsme : des jeunes filles ayant épousé des mobilisés avouent que « si un malheur arrivait, elles auraient une pension ». Sexualité, le séjour des divisions amène la présence ici de professionnelles dont l’exemple est pernicieux surtout pour les ouvrières. Dès 1914, on voit de celles-ci faire des « amis » dans les troupes de passage, les suivre ou les rejoindre dans leurs nouveaux cantonnements (Division marocaine, juillet 1915), même en abandonnant leurs enfants (août 1915). Des femmes cherchent à empêcher leur mari de venir en permission (dans un cas, le mari avait été blessé) ; d’autres s’éloignent de la ville dès que leur infidélité apparaît.

Drames passionnels. La constatation de l’adultère par le mari aboutit généralement à la séparation de fait, au divorce rarement.

Arrestation de faiseuses d’ange ; l’instruction révèle une vingtaine d’avortements (octobre 1916).

Recrudescence des maladies contagieuses. Création à l’hôpital d’un cabinet de consultations (1917).

Conclusions. La femme mariée, demeurée au foyer, sans protecteur, est exposée à toutes les surprises des sens. Tous ces régiments qui viennent au repos, entre deux batailles, ont l’instinct excité. Milieu éminemment favorable à la corruption. La continence de la femme affronte partout le désir exacerbé de l’homme. Et les hommes sont jeunes, entreprenants, parés de gloire, rendus plus séduisants par la mort qui les frôle. Ce sont des passants qu’on ne reverra plus, qui demain peuvent tomber. Parmi celles qui succombent, et il y en a dans toutes les « classes », quelques-unes ont l’excuse d’avoir voulu faire l’offrande d’une grande joie. Chez d’autres, ce dont d’elles-mêmes est peut-être une manifestation inconsciente de patriotisme.

Ce que nous disons des femmes mariées s’applique partiellement aux célibataires. Ici, la lutte morale a été presque nulle, dans la plupart des cas, le milieu, les circonstances n’ont fait que hâter, précipiter l’abandon féminin. L’opinion publique n’est pas hostile. Dans un pays où la vie s’éteint, on est indulgent au geste qui peut en rallumer le flambeau. Les mœurs sont des nécessité sociales.

De la conduite de certaines femmes pendant pendant la guerre, on peut, on doit s’attrister ; mais ce qui s’est passé est compréhensible. S’il en eut été autrement, nous n’aurions pas vécu dans l’humanité, c’est-à-dire au sein d’une animalité supérieure mais encore toute récente et qui ne peut se maintenir qu’à force de discipline.

La guerre a relâché tous les liens, elle a fait régresser certains êtres, incomplètement évolués, vers l’animalité tout court. Ce n’est, aussi bien, qu’une minorité. Toutes les autres femmes, douées d’une forte moralité, se sont encore enrichies moralement pendant ces années de guerre, dans le travail, le dévouement et le sacrifice qui ont suffi à l’expansion de leur activité.

Livre Montbéliard p.68-69